MÉLUSINE, LA FÉE MÈRE NATURE CELTE

Quand une légende dépouillée de ses influences chrétiennes, révèle l’âme celte, la fée Mélusine nous enseigne les forces profondes et archétypales de la Nature Féminine.

GENÈSE DE MÉLUSINE

Qui n’a jamais entendu et laissé frémir son cœur au doux nom de Mélusine ? Mélusine, Méluzyne, Mère-Luzine est un unique personnage dont le « matronyme » remonte au moyen-âge. À cette époque, les croisés au noble sang se voyaient récompensés de leur bravoure chrétienne par des titres et des domaines. Il se trouvait que certains de ces récipiendaires avaient besoin d’un lignage. Ils firent commande à des écrivains pour concevoir leurs légendes familiales. C’est ainsi qu’à Lusignan dans la province des Pictons du côté de Poitiers, fut créée vers l’an 1400 par Jehan d’Arras et Couldrette la légende de Mélusine dont les récits sont encore disponibles. Tous les deux inventèrent le personnage de Mélusine et sa fabuleuse histoire digne d’un mythe, en puisant dans des anciennes mémoires celtes et des racines d’un autre âge pour créer un destin hors du commun. Dans ce contexte, nous ne connaissons que des versions influencées par la religion chrétienne sans distinguer dans la trame l’évidente inspiration celtique.

RÉSUMÉ DU RÉCIT, DE LA LÉGENDE

Un jeune homme, prince déchu à son insu, rencontre une fée évoluant dans  son univers surnaturel et merveilleux au bord d’une fontaine, après avoir connu la perte dramatique de son oncle, son mentor paternel. La fée Mélusine fait découvrir à Raymond son mari (la polarité masculine) un monde que même dans les rêves les plus extraordinaires, il ne pouvait pas imaginer : accéder au mystère divin, approcher la fortune existentielle, générer une progéniture hors norme, toucher au sacré féminin ; à la condition inaliénable de respecter le pacte. L’homme Raymond doit obéir au désir secret de la fée Mélusine : toutes les nuits des quartiers de lune, la fée dispose librement de son corps et en secret de son pouvoir suprême. De cette promesse est scellé le sort entre l’homme et la femme, le mortel et la déesse, le masculin et le féminin… La suite de la légende illustre les ouvertures et les fermetures en l’un et l’Autre, les résistances, les espoirs, les révélations du passé qui conditionnent l’état présent jusqu’à l’inévitable fin d’un cycle de vie, la mort dans le sens de trans/formation dans laquelle s’exprime la re/naissance.

QUI EST MÉLUSINE ?

Derrière cette insondable question, nous percevons le fruit de notre imaginaire nourri à notre inconscient collectif occidental dont le celtisme a une grande part. Polarisés que nous sommes par les racines grecques (sans évoquer les plagiats romains), hébraïques et égyptiens, nous oublions nos mémoires celtes qui, si elles sont les plus récentes n’en demeurent pas moins primordiales. À cet effet, il suffit de constater l’impact auprès d’un large public de la légende arthurienne qui, malgré toutes les tentatives successives de christianisation depuis des siècles reste encore actif, pour preuve l’œuvre de Tolkien puisée dans le celtisme.

À ce titre, Mélusine est plus qu’un personnage. La fée se reconnaît comme une magicienne et une sorcière au même titre que son emblématique tante Morgane donnant ses enseignements dans l’île d’Avallon. Comme Persine sa mère, elle tente de transmettre aux hommes la quintessence de la vie à la condition que ces derniers respectent le mystère de la création dévolu depuis la nuit des temps aux amantes, aux femmes, aux mères, aux déesses. L’extraordinaire destinée nous apprend ou rappelle que tout commence par l’insondable féminin et tout finit dans l’inexplicable mutation de la vie. Mélusine est belle, rayonnante et éblouissante. Sa lumière fait plus qu’éclairer celles et ceux qui l’approchent, elle rend réalisable et opératif la force de l’amour : la fortune se déroule parce que l’énergie repousse les obstacles sans être freinée par les désagréables et encombrants souvenirs du passé. Mélusine aime charnellement comme elle enchante son entourage, vénère ses enfants et honore son prochain. Elle n’exige que le respect de son secret, de son essence, de son destin, de sa foi dans l’avenir en offrant des perspectives aux mortels.

QUE REPRÉSENTE MÉLUSINE ?

La fée incarne la force vitale du Féminin primordial, un archétype majeur que nous retrouvons dans d’autres personnages des mythologies occidentales : la relation avec Persine sa mère est en analogie avec Déméter et sa fille Perséphone chez les grecs. Un sort, un destin, une réparation à accomplir avec son lot de contradictions. Comme toute créature divine féminine, Mélusine embrasse tous les états de cette polarité. Elle est amante en attirant par la force de la séduction et de ses charmes le jeune et vierge Raymond (le masculin qui ne peut s’épanouir sans avoir été auparavant contenu par le féminin). Mélusine est femme par son autorité rayonnante qui influe les événements sans les imposer. La fée est mère avec la progéniture abondante de ses dix garçons (dix aspects différenciés du masculin, du monstre dévastateur au fils loyal en passant par le guerrier, le conquérant des territoires inconnus, l’enchanteur…) qui nous révèlent les forces cachées et refoulées présentes dans cette polarité. Mélusine est reine, elle régit à sa manière l’ordre de la vie dans le couple, avec les sujets et dans le royaume. Sans elle, point d’expansion, ni de devenir. La magicienne révèle quintessence féminine seule capable de transcender l’authentique nature humaine. À ce titre, sans être fondamentalement matriarcale, Mélusine incarne la force dynamique (avec ses oppositions) qui fait avancer dans le cheminement spirituel. À ce propos, l’aspect visible de la  légende nous montre les réalités intérieures et intimes de ce qu’authentiquement, nous sommes : un être qui dans l’intimité la plus profonde, est guidé par une connaissance inconsciente. Mélusine comme nous tous, apprend tout autant qu’elle nous apprend les liens avec nos origines, que ces dernières soient existentielles ou karmiques.

MÉLUSINE CELTE ET MÉLUSINE CHRÉTIENNE

Les versions chrétiennes de la légende parent Mélusine de l’attribut du serpent, allusion bien commode pour « diaboliser » le féminin et discréditer la véritable force de transmutation que la fée (qui est en nous) est capable d’activer pour modifier l’ordre de la vie. Avec ces propositions, elle devient soumise au déterminisme de la religion : construire des églises. De même que la suggestion est de nous faire croire, ou instiller le doute, qu’une femme non ordinaire engendre une progéniture qui ne peut être que monstrueuse.

L’approche celte de Mélusine nous laisse entrevoir un autre destin, sentimental, romantique, transcendant et évolutif en associant en permanence au cours du récit des polarités qui pour le lecteur(trice) éclairé et sensible, ne sont aucunement contradictoires. L’animalité du personnage est une émergence de son intériorité, non pas un habit pour le définir. L’anguille surgit des entrailles de la fée, de la femme, de la Mère-Nature. Ce fait aussi simplement exprimé respecte les règles dites par toutes les Traditions : c’est du féminin contenant que la force de vie masculine peut sortir, l’une précède toujours l’autre. Le Féminin devance et anticipe la Masculin, et avant le Féminin est le Vide, le Chaos, l’Œuf… Les conditions et les causalités qui provoquent cette transmutation sont d’un ordre « alchimique ». Ce processus s’opère dans un « chaudron » -Graal- à chaque quartier de l’astre tutélaire, la lune. Les trois étapes de l’Œuvre se déroulent sous nos yeux, à qui sait le voir, le reconnaître… Le récit respecte ce mystère : le suggérer sans le dire, le montrer sans le dévoiler, le divulguer sans le dénaturer…

Il en est de même lorsque Mélusine inscrit les traces de ses passages dans des endroits qui sont peuplés par des génies et autres peuples subtils, et vont devenir des hauts-lieux énergétiques plus ou moins bien « travaillés » par les religions révélées dans les terres occidentales de l’Europe. La fée dispose selon les sites, des pierres dressées ou plates pour activer leurs énergies, toujours entre terre et eau…

La nièce de Morgane, peut être interprétée comme la filiation à la force et l’archétype plutôt qu’au personnage réel, emprunte un chemin encombré par les embûches des humains, tracé par les sortilèges des volontés divines. Ainsi, Mélusine passe d’un monde à l’autre et nous pouvons nous identifier à cette alternance lorsque nous sommes tantôt en phase avec les hautes sphères ou les élémentaux avant ou après être saisi par la matière. Il n’y a aucun destin maléfique à retenir de cette légende, mieux vaut s’affranchir des miasmes chrétiens pour y reconnaître un « paysage intérieur » décrit avec les codes et le langage crypté de la tradition celtique.

MÉLUSINE, LA FÉE UNIVERSELLE AU CŒUR DE SOI

Il n’y a pas de fée sans eau. Mélusine ne déroge pas à cette règle fondamentale. Elle a vécu son enfance entre terre et eau dans l’île d’Avallon, elle s’installe entre eau et terre à la fontaine de Soif (non pas de la soif) au milieu de la forêt des Colombes. C’est au bord de cette résurgence que se déroule la magie opérative et l’enchantement sur les âmes humaines. Le terme Soif désigne les états de désir, de curiosité, d’ouverture pouvant dériver vers la conduite aliénante de l’ivresse, il signifie également dans son étymologie les subtils états d’appétit « avoir soif », de boire et de mourir avec le philtre mystérieux en dépassant le stade de la satiété, et de boire le nectar : le sang pour l’homme, le sang de la terre : « ingérer en Soi le liquide de la Vie ». La dénomination du lieu n’a rien du hasard, il s’agit de se positionner là où est la vie, et à cette source d’intégrer en Soi le Féminin, Soi+F. Les végétaux entourent l’élément eau émergeant entre les pierres. Il ne reste plus que le règne animal pour construire l’édifice magique sur le site. Il viendra avec le sanglier blanc et le cerf, deux animaux emblématiques dans le bestiaire celte. La légende prend sa véritable nature métaphysique et spirituelle sous les ailes du cygne avec son double aspect céleste clair et obscur à la fin du récit. Ainsi, la légende de Mélusine respecte la loi des cycles bien connue dans les mythes, à savoir que tout commence par une mort et termine par une autre mort…

LIRE LA LÉGENDE DE MÉLUSINE AVEC L’INTELLIGENCE DU CŒUR

Dans cette approche de Mélusine fée celte, la lecture de la légende suscite l’évasion dans une autre perception du monde, la résonance des échos féminins dans notre âme profonde, l’indication d’un chemin possible pour toucher ou être touché(e) par la « grâce divine » et des éléments d’un enseignement d’ordre spirituel. L’auteur s’est laissé transporter par l’ambiance celte pour découvrir et partager la richesse de cette légende au caractère universel digne d’un véritable mythe florissant, possédant de multiples et diverses lectures de ce même récit qui, tout en étant différenciées sont enrichissantes et nourrissantes pour le cœur. L’aventure de Mélusine est aussi la nôtre, avec ses rencontres du « hasard » sur le chemin, ses magies que notre âme transporte, ses ouvertures spirituelles oscillant entre espérance et désespoir parfois et son sens du merveilleux…

CONCLUSION

Le personnage de Mélusine est à plus d’un titre, emblématique du Féminin Primordial, tout en étant porteur de l’ambiguïté qu’il suscite dans la relation entre l’un des aspects majeurs du Féminin Sacré et le  Masculin. L’un ne peut pas être et aller sans l’autre. La trahison de son époux est révélatrice de ce que l’homme est attiré par et vers le mystère de la femme, sans y avoir accès, quelques soient ses espoirs, ses illusions, ses espérances. Accepter le mystère et le meilleur moyen d’y pénétrer…

Le lien avec le livre de l’auteur : https://www.hesperides-editions.fr/produit/melusine-le-pacte-de-la-fee-dominique-aucher/